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Œuvres utilitaires d’origine externe à l’Union & droit d’auteur – fini la réciprocité !

Publication date

6 November 2024

Suite à la décision historique Kwantum (C-227/23) du 24 octobre 2024 de la Cour de Justice de l’Union européenne, une œuvre utilitaire d’origine extérieure à l’Union peut bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur au sein de l’Union, même si elle ne peut pas bénéficier de cette protection au sein de son pays d’origine.

Les Etats Membres de l’Union européenne ne peuvent donc pas refuser une protection au titre du droit d’auteur à une œuvre utilitaire originaire d’un pays tiers (comme un meuble design), sous prétexte que le pays d’origine offrirait une protection moindre.

Les seules conditions pour qu’une telle œuvre bénéficie d’une protection au titre du droit d’auteur sont celles communes à tous les types d’œuvres au sein de l’Union : elle doit être originale et constituer l’expression d’une création intellectuelle.

Le contexte factuel et introduction

Vitra AG est une société qui fabrique et commercialise des meubles design, dont la Dining Sidechair Wood (« DSW ») conçues par Charles et Ray Eames, deux ressortissants des Etats-Unis.

Selon Vitra, Kwantum commercialise en Belgique et aux Pays-Bas une chaise (le modèle « Paris ») qui porte atteinte aux droits d’auteur de Vitra sur la DSW. Elle a donc décidé d’assigner Kwantum devant les juridictions néerlandaises.

Aux Etats Unis, les meubles design peuvent en principe bénéficier d’une protection par le droit d’auteur. Par contre, dans le cas d’espèce, la DSW ne bénéficie pas de cette protection pour des raisons spécifiques.

C’est dans ce contexte que s’est posée la question de l’application de la clause de réciprocité contenue à l’article 2, paragraphe 7, de la Convention de Berne, qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour de Justice.

Cette disposition soumet la protection internationale par le droit d’auteur des œuvres d’art appliqué (telles que les meubles design comme la DSW) à une condition de réciprocité : une œuvre utilitaire ne bénéficie ainsi pas de la protection par le droit d’auteur si elle n’a pas droit à une telle protection dans son pays d’origine.

Le contexte juridique international et européen

La Convention de Berne est le principal instrument international en matière de droit d’auteur.

Son principe fondamental est celui du traitement national : l’auteur ressortissant d’un des Etats contractants doit pouvoir bénéficier dans chacun des autres Etats contractants de la même protection pour ses œuvres que celle accordée aux ressortissants de cet autre Etat contractant.

Concrètement, comme les Etats Unis et la Belgique sont des Etats contractants de la Convention de Berne, une œuvre américaine doit bénéficier en Belgique de la même protection que les œuvres belges.

Il existe toutefois des exceptions à ce principe, dont une pour les œuvres des arts appliqués, c’est-à-dire, les œuvres utilitaires ou les œuvres de design (comme les meubles design). Pour ce type d’œuvres, la Convention a introduit une clause de réciprocité : lorsque, dans leur pays d’origine, ces œuvres sont uniquement protégées à titre de dessins et modèles (et non par le droit d’auteur), elles ne peuvent pas bénéficier dans un autre Etat contractant de la protection par le droit d’auteur.

Au sein de l’Union, la directive 2001/29 harmonise certains aspects du droit d’auteur. Elle vise à éviter des disparités dans les Etats membres en termes de protection par le droit d’auteur. Cette directive ne prévoit aucune condition liée au pays d’origine de l’œuvre ou de la nationalité de son auteur pour pouvoir bénéficier d’une protection par le droit d’auteur.

La décision

La question centrale à laquelle la Cour de Justice a dû répondre était la suivante : une œuvre de design conçue en dehors de l’Union européenne, comme la chaise DSW, peut-elle bénéficier du même niveau de protection des droits d’auteur que les œuvres créées au sein de l’Union ?

La réponse de la Cour de Justice est fondée sur le raisonnement suivant :

D’une part, la directive 2001/29 prévoit qu’une œuvre (au sens de la directive) bénéficie de la protection au titre du droit d’auteur, sans ajouter de condition liée au pays d’origine de l’œuvre ou de la nationalité de son auteur. Par conséquent, la directive s’applique à l’ensemble des œuvres dont la protection est demandée sur le territoire de l’Union, y compris les œuvres utilitaires originaires de pays tiers.

D’autre part, les Etats Membres ne peuvent appliquer la clause de réciprocité de la Convention de Berne pour exclure une œuvre utilitaire originaire de pays tiers. En effet, ceci serait contraire aux dispositions et à l’esprit de la directive 2001/29 (qui vise à harmoniser le marché intérieur).

La Cour de Justice conclut que la directive 2001/29 n’autorise pas les États Membres à appliquer la clause de réciprocité prévue par la Convention de Berne. Seul le législateur de l’Union peut prévoir de limiter la protection par le droit d’auteur.

Un État Membre ne peut donc pas restreindre la protection d’une œuvre en provenance d’un pays tiers sous prétexte que le pays d’origine offre une protection moindre. Les droits d’auteur pour des œuvres provenant de pays tiers, telles que les Etats Unis, relèvent des normes harmonisées de l’Union.

En l’absence d’une législation explicite de l’Union autorisant une telle limitation, les États membres doivent appliquer uniformément la protection des droits d’auteur, sans avoir égard à l’origine nationale de l’œuvre, quand bien même celle-ci serait originaire d’un pays hors Union.

Auriane Schockaert

Avocate

auriane.schockaert@moov.law

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